Les CINQUE TERRE, Italie, avril 2025
- Jean Lacroix
- 12 mai
- 8 min de lecture
Dernière mise à jour : 14 mai
L'Italie détient le 1er rang mondial du nombre de sites classés de l’UNESCO.

Celui des CINQUE TERRE en est un.
Un label qui prédit l’émerveillement.
Ici, une banale et irrégulière montagne côtière devient parfois falaise. Elle a accueilli par le passé l’habitat de l’homme, sur la mer.
Et voilà aujourd'hui un sommet de pittoresque...
... si bien que là, même en basse saison, nous sommes loin d'être seuls.
Les CINQUE TERRE, 5 villages accrochés à la montagne escarpée qui plonge en mer, entre La Spezia à l’est et Levanto à l’ouest

Le plateau côtier sans attrait dont les sommets avoisinent les 350 à 700 mètres, hérisse de lourds blocs abrupts juxtaposés, aux sommets arrondis presque sans à-plat, entre lesquels s’enfoncent des vallées étroites.
Sur les crêtes, de maigres arbustes, tels de rares poils sur le crâne d’un chauve.
Une montagnette qui est parfois plus menace que protection : un torrent de boue de 4 mètres d'épaisseur submerge Vernazza en octobre 2011.
Oscillant bien en retrait de la mer qu’elle rejoint parfois, une autoroute à deux voies n'est qu'une succession sinueuse de tunnels et de viaducs à mi-hauteur de pente.
Partout, de rudes et courtes restanques ancestrales, terrasses en gradins de pierre sèche, épousent les lignes de niveau sur les pentes, pour on ne sait (à distance) quelles cultures.
D’autres hameaux plus modestes se retiennent dans les pentes bien au-dessus de la mer, sans qu’on puisse apercevoir leurs chemins d’accès.

Des promontoires acérés façonnent les panoramas marins.

Mais ce sont les chaudes couleurs dont sont peintes les "maisons-tours" agglutinées de manière spectaculaire au-dessus de la mer qui font l'irrésistible attrait de ces villages.
Des couleurs qui pourtant ne datent que des années 1970.

Elles ne sont pas anciennes comme par exemple sur l'île de Burano au nord de Venise où la vivacité des façades était un fanal pour les embarcations quand la brume marine envahissat la lagune vénitienne.
Et où, dit-on, elles portaient aussi une signification historique, symbolique, culturelle, sociale... et aujourd'hui très règlementée.
Aux Cinque Terre, c'est de ce séduisant artifice que se sont emparé avec opportunisme les collectivités côtières pour accroître l'essor touristique.
Si l'habitat typique des "case torri" (les maisons-tours) semble être hérité de l'architecture médiévale des habitations forteresses défensives comme à San Gemignano, c'est certainement plus ici sous la contrainte de l'exiguité de l'espace constructible qu'il s'est développé spectaculairement en hauteur.
Et voici ci-dessous d'ouest en est :
Le charme est saisissant quand le regard embrasse les panoramas à distance depuis les hauteurs - mais l'énergie nous a manqué pour accéder aux sommets -, ou comme plus haut depuis la mer en bateau au départ de La Spezia.

Notre effort mesuré s'est limité à grimper aux plus hauts points historiques habités, parfois dominés par une église comme à Manarola.
Cinq villages avec leurs propres caractéristiques
Tous sont différents, parfois sans accès maritime comme Corniglia, étagée sur un escarpement rocheux, 100 mètres au-dessus de la mer.

Là, c'est 384 marches ("Lardarina", tel est le nom de cet escalier) qu'il faut grimper en lacets serrés depuis la gare à l'est pour atteindre le village.
Mais quand on aime, on ne compte pas, surtout quand c'est à la descente.
Un seul détone par sa topographie : Monterosso al Mare le plus à l'ouest.
Les deux quartiers du village sont séparées par un puissant promontoire peu élevé.
Chacun occupe le fond d'une ample crique sans véritable déclivité, confortablement adossé à la montagnette et bordé d'une vaste plage de sable.
Une pimpante station balnéaire, donc très prisée.
A l'inverse des quatre autres villages, Monterosso n'arbore pas ses maisons-tours en front de mer. Comme s'il tenait à les dissimuler en arrière-plan.
Le village est si internationalement fréquenté que, face au client, les patrons de bar, paupière lourde, arborent la mine blasée, ennuyée, de leurs confrères au pied de Notre-Dame à Paris.
A deux pas de la plage de l'ouest, le sommet d'un sombre rocher (nommé "Gaggiata") est un terrain de jeux pour la jeunesse qui ose une hardiesse mesurée.

Le village de Vernazza quant à lui, s'incurve en amphithéâtre autour d’une modeste crique qui abrite un petit port de pêcheurs.
Il y règne un calme étonnant le matin, où on lézarde entre les "pointus" du coin et où une mouette paisible contemple au loin Monterosso.
L'après-midi, une autre jeunesse plus intrépide s'essaie à plonger dans une mer d'avril, depuis le rocher qui protège le port et que domine une tour ronde.
Les deux autres villages à l'est, Manarola et Riomaggiore, semblables dans leur configuration, sont recroquevillés autour d’une rue principale dévalant une étroite vallée très pentue qui s’évase un peu à l’abord de la mer.
Une rue qui épouse le parcours bondissant d'un torrent, nommé Rio Maior à... Riomaggiore et Rio Groppo à Manarola.

Manarola semble être le plus ancien des 5 villages mais certainement le plus petit.
Les deux parties de Riomaggiore sont séparées par un promontoire au travers duquel a été percé un tunnel piéton, agrémenté de très belles mosaïques modernes.
Par le passé, la côte, élevée et accessible aux plus agiles était ici un refuge, et la mer une ressource, presque le seul moyen de circulation, immense et brutale ouverture au détour d’une pente, seule liberté.
Ces villages ont dû craindre beaucoup plus les envahisseurs de la mer que ceux du continent.
Les vestiges sont nombreux de la lutte contre les assauts anciens, tours rondes ou carrées, crénelées, casernes épaisses.
Et l'imploration de la protection divine contre les maléfices de la vie reste présent avec de nombreux édifices religieux, des églises souvent perchées dont l’ampleur du parvis dépendait de l’espace disponible.
Comme dans d'innombrables autres façades d'églises italiennes, le marbre blanc (de Carrare) alterne avec la serpentinite (une variété de marbre vert sombre et non pas noir) certainement en provenance de Prato dans le massif des Apennins au nord-est de La Spezia (d'où on en aperçoit les crêtes encore enneigées).
Modestes et pittoresques comme à mi-hauteur de Riomaggiore, ou sur un étroit plateau au sommet de Manarola (là le clocher-tour, séparé de l'église lui fait face à l'opposé du parvis), ailleurs elles sont plus majestueuses comme à Vernazza sur le port, ou à l'extrémité d'une vaste place à flanc de montagnette proche de la mairie, encore à Manarola (église San Lorenzo).
Embarras des villes touristiques et heureux restes d'authenticité
Les sites de notoriété planétaire doivent leur séduction à un cadre visuel irrésistible, le plus souvent indissociable d'une vie locale qui existait originellement dans toute son authenticité.
Mais pour ceux qui ont une vie sociale (villes, villages...), dès que se sont développés le tourisme et les ressources qu'il apporte localement, un clivage s'est vite opéré, au détriment de l'authenticité du départ.
Aux Cinque Terre, après avoir savouré à distance et à volonté les époustouflants panoramas, chatoyants, les topographies étonnantes,... jusqu'à croire ne pas s'en lasser, que reste-t-il de l'authenticité quand on entre dans les villages?
L'architecture ancienne dans toutes ses facettes, de vieux bouts de forteresses, les nombreuses églises, des venelles en voûtes (les "carrugi"), plus sombres, des arches et de raides escaliers, bien sûr l'étonnant patchwork des teintes ocres variés de l'habitat lui-même.
Ainsi à Monterosso
ou à Manarola
ou à Riomaggiore
En retrait de la voie principale pentue, dans des ruelles moins pimpantes, c'est la patine des ans et les façades décrépites qui traduisent une vie locale plus humble, sous le soleil, entre les murs aux couleurs de fête...
... avec d'anciens et encore vaillants triporteurs de tôle, des remorques métalliques à deux roues devenues décor touristique tout comme quelques bateaux de pêche,
et la plus enracinée des pratiques italiennes, toujours persistante, le linge qui sèche sur un fil tendu entre deux fenêtres ; véritable lien social de voisinage.
L'essence de l'Italie, en tout cas telle qu'on croit qu'elle est.
Tout le reste, sacrifié au tourisme, n'est que boutiques à souvenirs fabriqués bien sûr massivement en PRC, de restauration qui se prétend d'origine et de fabrication locales mais qui ne l'est que parfois, souvent tenues par les autochtones eux-mêmes reconvertis dans l'activité touristique.

La préparation de la haute saison à Riomaggiore va même jusqu'à patiemment arracher à la main les herbes folles qui poussent dans les marches d'une grande volée d'escalier.
... ou bien à ne pas hésiter avec d'autres moyens de recourir à un hélicoptère transbordeur sur un chantier de rénovation d'un hôtel aux sommets du même village. Avec la certitude d'un retour certain et très gratifiant.
L'assourdissant claquement des pales est amplifié entre les habitations pendant deux heures l'après-midi.
Comment acheminer cette manne touristique
Outre le cabotage touristique depuis La Spezia, aujourd’hui seule la ligne ferroviaire entre Pise et Gênes permet une circulation facile.
Perçant obstinément en tunnels successifs la paroi rocheuse presque au niveau de la mer, elle affleure souvent la falaise rocheuse.
La section entre Sestri Levante à l'ouest et La Spezia, ouverte à une seule voie en 1874, puis à deux seulement en 1970, a été la plus diificile à construire.
Les cinq gares ont vue sur mer.

Filon bien exploité par Trenitalia et ses wagons très semblables à nos TER mais ici de marque Hitachi.
Le tarif pour circuler entre n'importe lesquelles de deux d'entre les 7 gares (La Spezia et Levanto inclus) est de 5€ par personne. Bien sûr autant de fois qu'on circule entre deux gares.
Mais un forfait strictement quotidien (et donc daté) de 17,50€ par personne permet de circuler à volonté entre toutes ces gares.
Alors que de bonnes visites des villages ne permettent d'en voir que deux à trois en un jour.
Bel exemple de partenariat local bien (sur)exploité, un parcours pédestre facile d'environ 1km aménagé en balcon horizontal 50 mètres au-dessus de la mer (refait récemment après un effondrement de la falaise) entre Riomaggiore et Manarola, appelé "le sentier des amoureux" est vendu 7,50€ par personne si l'on a acheté le forfait Trenitalia d'un jour.
Sinon, c'est 17,50€ par personne!!
Aussi amoureux soit-on, on a dit non à l'hectomètre à 1,75€.
Visiteurs pédestres dont nous sommes, familles entières chiens et landaus compris, randonneurs équipés, passagers en attente à l'embarcadère du bateau, groupes de cyclistes mettant pied à terre dans les fortes pentes des villages malgré l'aide électrique, le monde entier est là.
Une notoriété qui fait des Cinque Terre une Babel nouvelle, mais à la langue unique, une sorte d'anglais à l'accent italien. Et le français à la demande, assez bien parlé par la population locale.
Les groupes s’agglutinent autour du fanion brandi par leur guide, et dans les gares veulent tous prendre le modeste ascenseur qui permet de passer en souterrain d’un quai à l’autre,… au lieu d’emprunter quelques marches voisines.

Le train est ici un salut pour les hordes de touristes du monde qui dament les chemins de leurs pas pressés. Et vers 17h, l'heure des retours, les wagons sont envahis même en saison basse, autant que le métro parisien aux heures de pointe.
Au point que même les escaliers permettant d'accèder aux souterrains entre quais sont fléchés pour canaliser les flux de montée et de descente.

Ouf, à d’autres heures plus propices, on retrouve le calme des gares où l’attente est paisible, et où le regard glisse sur les rails en rêvassant.
L’abandon de l'esprit comme dans les gares anciennes où l’herbe pousse entre les voies.
En se détournant un peu du pittoresque obligé, il restera le souvenir d'uniques et saisissants panoramas sur la mer, qui s'en moque...

... et celui d'autres lieux captivants comme la profonde baie de La Spezia, Porto Venere, magnifique sur le "Golfe des Poètes", Levanto la tranquille à l'ouest, ailleurs un village paisible dont on ignore le nom, très loin la crête encore enneigée des Apennins.
Magnifique reportage comme d'habitude, belles photos, mais je n'irai pas: trop de monde.
Prochaine destination?😍😍
Très belles photos et les commentaires intéressant